Il n'y a pas de plus grand acte de foi pour un musicien que de laisser la sécurité relative d'un groupe (avec ses nouvelles idées et, avouons-le, son soutien pratique quand ils se perdent occasionnellement) et de s'engager sur la voie du solo. Et pourtant, surtout pour un pianiste qui revendique Brad Mehldau comme son inspiration principale, c'est une montagne trop tentante pour ne pas la grimper.
Pour les auditeurs, ils découvrent également quelque chose de nouveau. S'ils connaissaient le raconteur d'histoire, ils peuvent maintenant rencontrer l'orateur et explorer les plaines sans limite de leur imagination, plonger dans les courants et braver les tempêtes. Bourane («tempête de neige» en russe) est une référence à un programme spatial soviétique abandonné dans les années 70, et un hommage cryptique aux parents de l'artiste. Si le pianiste est originaire du sud ensoleillé de la France, on retrouve la turbulence des tempêtes de neige de l'étendue sibérienne à travers Buran, des mélodies denses et menaçantes de la piste éponyme à la vitesse vertigineuse de Follow the Fox, dont l'ébouriffant contrepoint transporte les auditeurs à travers des tourbillons de couleurs et de textures. La dextérité bouillonnante est à nouveau affichée dans la boppy Iberian Waltz, tout au long de laquelle les auditeurs sont régalés avec des éruptions virtuoses au registre supérieur. Mais après une tempête vient toujours un calme, et où Faye excelle souvent, c'est dans les explorations mélodiques plus légères qui résument son sens du lyrisme sophistiqué. Ballade Pour Izia, l'une des trois reprises de l'album, met en valeur cet appétit pour les mélodies simples des airs pop, mais avec une cure de jouvence harmonique. Plus tard, il capture le pathos d'une ballade à nu avec une force poignante et remarquable sur sa reprie du thème The Persuaders du compositeur de musique de film John Barry. Incontestablement un moment fort de l'album.
Pour ceux qui connaissent son travail en trio, il n'est pas surprenant que Faye s'aventure dans de nouveaux territoires et le fasse avec brio. Buran est un début impressionnant du diplômé de Berklee. Sa collection kaléidoscopique de pièces offre surprise, punch et introspection dans une égale mesure. Avec la perspicacité, l'expérience et la maturité que confère le temps, attendez-vous à beaucoup d'autres réalisations de ce jeune pianiste, dont le 29e anniversaire est à peine derrière lui.
Luke Seabright
Après Clearway (2017) et Live In Brussels (2018) en trio, voici venu pour Amaury Faye, comme pour tant de pianistes, le moment du passage à l’acte en solo, sur un répertoire presque entièrement original. Ce faisant, il travaille à se dégager sans la renier de l’influence de Brad Mehldau, pour cultiver son goût pour un piano dense, intense (Buran), physique et technique (Follow the Fox), baignant parfois dans le lyrisme (The Persuaders) et assis sur d’impeccables bases traditionnelles (The Temptation Rag). Un pas décisif vers l’affirmation d’un univers personnel, et un album à la réalisation très soignée.
Vincent Cotro
Il a osé sauter dans le vide, selon ses mots retranscrits dans le livret, et relever à 28 ans le défi du solo. Sur le label l’Esprit du Piano, Amaury Faye présente un programme puissant, lyrique, haletant. Ses compositions originales sont complétées de pièces de Jacques Higelin et John Barry. On a découvert le natif de Toulouse en trio sur la scène de Jazz à Vienne dont il fut le lauréat Rezzo/Focal 2016, on l’a vu engagé dans l’orchestre de Jazz In Marciac 2018 conduit par Baptiste Trotignon, facétieux sur scène au sein du collectif Initiative H de David Haudrechy. On est séduit ici par son jeu volubile, sa recherche du plain, d’un espace saturé à la manière d’un soufflant. Un album d’une beauté intemporelle.
Alice Leclercq
Amaury Faye est toulousain et a 28 ans. Il a pas mal travaillé en Belgique, avec son trio, et a enregistré un album live à la Jazz Station de Saint-Josse, Live In Brussels, dont nous avons dit le plus grand bien. Avec Buran, il passe à une autre discipline, encore, je crois, plus ardue que cette du trio avec piano: le piano solo. Là, pas de rampe pour se soutenir, de complices pour se rattraper. Tout est dans ses deux mains et dans sa tête, tout est en soi. « Le solo, c’est pour moi un laboratoire grâce auquel je peux expérimenter ma manière de jouer la plus personnelle » dit Amaury Faye dans les notes du disque. Il ajoute: « C’est une formule où on ne peut jamais tricher, jamais se mentir à soi-même. » Ni à l’auditeur. Des compositions personnelles et trois reprises (de Higelin, de Barry et de Lodge). Et un disque dense, où Amaury Faye se souvient du classique et de la pop pour les soumettre au jazz. C’est un album exigeant, très construit même s’il s’orne souvent d’improvisations, très sophistiqué, et très simple à écouter en même temps. Il suffit de se laisser aller, on écoute, on est pris dans une spirale de découvertes et de surprises, on rêve, on plane.
Jean-Claude Vantroyen
Tonla Briquet Jazzenzo était déjà optimiste à propos de son premier CD en trio. La suite "Live In Brussels" et sa contribution au "Songbook" de Giuseppe Millaci & Vogue Trio ont également fait preuve de classe. Le pianiste français Amaury Faye renforce sa position avec le CD solo "Buran".
"Seulement derrière le piano: rêve ou cauchemar, selon l'artiste. C'est un test obligatoire auquel presque tous les pianistes sont confrontés.
Que pouvez-vous ajouter à cet exercice de style après Keith Jarrett, Fred Hersch ou Craig Taborn, pour n'en nommer que quelques-uns. Faye n'est pas accablé par cet héritage lourd. Il fait ce qu'il doit faire, c'est-à-dire exprimer des sentiments dans sa dialectique appropriée. Comment ça sonne finalement? Le premier titre, Buran, résume le tout. Pas de tsunami de noix ou de constructions inutilement complexes. Sur fond sombre, il laisse lentement progresser un motif répétitif et y ajoute régulièrement un petit ornement. Rien de terrifiant mais extrêmement efficace et intriguant.
Un peu plus d'une heure, Faye dévoile des partitions délicates et flirte avec des mélodies classiques et apparemment connues. Chaque fois qu'un moment de reconnaissance semble émerger, il change de direction. Il suffit d'écouter «Iberian Waltz» - l'une de ses propres compositions - et d'essayer de comprendre ce que vous en pensez. Et combien de temps a-t-il fallu pour que vous reconnaissiez le thème «Les persuadés» de la série télévisée éponyme de l'époque. Lorsque vous pensez que le CD est terminé, un peu de ragtime apparaît comme une sorte de piste cachée .
Pour ceux qui n'écoutent que des références branchées, nous citons des noms tels que Nils Frahm, Joep Beving et Sebastian Plano. Heureusement, Faye n'est pas aveuglée par cette vague de stars du piano à la mode. Il perce sans effort ce mythe. Les noms nommés servent uniquement de guide. Faye continue les lignes beaucoup plus loin."
Georges Tonla-Briquet
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